térébenthine
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La vieille Matou, voilà comment comment les gens du village l'appellaient. Personne ne connaissait son vrai nom.
Les rares apparitions que la vieille faisait à la lumière du jour étaient à quatorze heures précises, pour nourir les chats. Elle les recueillait tous: ceux de gouttière, les chats errants et parfois même ceux d'appartement, d'où son surnom.
Les villageois la redoutaient et la qualifiaient d'acariâtre.
De tout ceci bien sûr, Octavine, la fille des nouveaux voisins n'en eut pas vent. C'est ainsi qu'un jour chattoyant en vendant des biscuits au beurre pour sa compagnie des castors et avec le désir de s'intégrer au plus vite, la jeune fille blonde comme la brise du printemps s'avanca dans l'allée. Elle évita le regard d'un chat noir accoudé aux marches, rassembla ses esprits et une pointe de courage et toqua, faute de sonette.
C'est la vieille qui ouvrit, ce qui eut étonné tout le village.
Octavine n'avait jamais vu de cheveux si blancs (et la vieille de cheveux si blonds) et longs de surcroît. En général, se dit-elle, les cheveux des vieux sont grix, mais ceux-ci avaient la resplendissante couleur du manteau douillet de neige de l'hiver. Du haut de ses onze ans et quelques et ses cheveux ne lui ayant jamais paru si ternes, Octavine décrocha son plus beau sourire à Mme. Matou.
"Je vais vous chercher les trois sous dans le boudoir, entrez ma demoiselle".
Octavine s'exécuta. Tout dans cette ancienne demeure de douanier semblait s'être éteind après le coucher dernier du soleil et après qu'un épais nuage de poussière ait trouvé place dans l'air émeraude de ses pièces. Les rideaux étaient clôs.
Un chat roux (tiens un autre!) alla se glisser derrière l'épaisse tenture qu'Octavine ouvrit pour le libérer.
Quand la vieille revint, son sang ne fit qu'un tour, elle dut même s'asseoir.
Quinze ans qu'elle n'avait plus vu autant de lumière flotter entre les murs écorchés de sa maison. Le charme des porcelaines et des antiquités apparut soudain à la fillette qui s'en émerveilla. Toutes deux se sentaient bien en précense de l'autre.
C'est ainsi qu'au fil des années, leur amitié se solidifia, rendant l'atmosphère de la ruelle bien plus agréable depuis que la vieille avait recouvré le sourire.
Antoinette avait tout confié à Octavine, ses amours, son tendre Arthur, ses années au music-hall, le piano qui chantonnait du jazz, ses escapades, les prés fleuris du printemps, la pluie d'été, la cruauté de l'hiver, la valse de l'automne, le bouillon de sa mère, le jardin aux allées parfaites de son père, les mains de Jacques,... tout sauf ça. Le cancer d'Antoinette s'était généralisé sans que personne ne le sache.
Un matin comme un autre, la jeune complice se rendit au lieu-dit et y trouva une lettre, la première de dix mais ça elle n'aurait su le savoir, qui lui expliqua son absence qu'elle espérait au début momentanée.
Chaque jour pendant onze jours, car la poste ne tournait pas le dimanche, Octavine trouva une lettre que le bien brave facteur avait soigneusement posée sur la table.
Le 8 mai 1967 (pure ironie du sort), Octavine décacheta la dernière lettre, les derniers mots de Matou sans une rature:
" Ma belle Octavine,
Demain sonnera ma fin, je le sais et je m'en porte bien et ce grâce à toi, ma petite.
Tu m'as réappris à vivre à un moment de mon existence où d'autres partaient rejoindre ce gros monsieur là-haut (s'il m'entendait!).
Un jour, de manière inattendue, la plus jolie petite blonde qu'il m'ait été donné de voir, drappée de blanc, frappa à ma porte, ouvrit les tentures et fit basculer ma vie.
Ne m'en veux pas de ne t'avoir rien dit et de te laisser comme ça. Oui, je l'ai toujours su et pour des raisons qui me sont propres (et que la raison ignore surement) et que tu peux donc comprendre, je ne t'ai rien dit.
Sache que mon seul regret aujourd'hui est de délaisser une âme en peine et ce par ma faute. Mais je t'en prie, ne sois pas triste, ça évitera une tare à mon lourd corps pour mon ascension.
Mais je vivrai toujours à travers ton sourire, ma petite Octavine, sois en sûre.
Je m'en vais rejoindre Arthur.
Je t'aime_
ta dévouée Antoinette."